Soumaïla Berthé, Secrétaire général du MPP Mali Nyèta Koura : «Ce soulèvement est légitime et nécessaire»

Secrétaire général du Mouvement Pour le Progrès (MPP Mali-Nyèta Koura), Soumaïla Berthé réside en France où il est l’une des voix les plus écoutées au sein de la diaspora malienne. Malgré la distance, il reste attaché à ses racines. C’est ce qui l’a poussé à s’intéresser aux élections législatives en commune I du district de Bamako. Soucieux de la crise sociopolitique qui a tendance à paralyser le pays, Soumaïla Berthé fait ses propositions et invite au dialogue.
Bonjour Monsieur Berthé. Que diriez –vous sur vous à nos lecteurs, si on vous le demandait ?
Je m’appelle Soumaïla Berthé, Secrétaire général du Mouvement Pour le Progrès (MPP Mali Nyèta Koura). Je suis présentement installé en France avec ma famille. J’ai été candidat aux dernières élections législatives en commune I du District de Bamako.
Vous avez été candidat aux dernières élections législatives dont les résultats ont été contestés, dites –vous. Quelle est votre réaction par rapport à cela ?
Je n’ai pas du tout été surpris par la contestation des résultats des élections récentes parce que toute élection se prépare. Les élections ont été reportées. Le mandat des députés a été prorogé à plusieurs reprises. C’est donc au sortir du Dialogue National Inclusif qu’il a été demandé d’organiser les élections. Il n’y a pas eu de préparation digne de ce nom par les partis politiques, encore moins par le gouvernement lui-même.
Pourquoi, je dis cela, parce que, premièrement, on ne devrait pas attendre le Dialogue inclusif pour organiser les élections. La loi dit qu’une fois le mandat des députés est fini, on doit organiser les élections. C’est ce qu’on devait faire. Deuxièmement, ça a coïncidé avec la pandémie du coronavirus qui a paralysé le monde. Troisièmement, le Mali a perdu le contrôle de la moitié de son territoire à cause de l’insécurité.
Malgré tout cela, on a tenu les élections. Nous avons interrogé les autorités sur la possibilité de la tenue des élections, ils nous ont rassurés, mais je vois que tous les problèmes tirent leurs origines dès le départ. Et voilà qu’au cours des campagnes, le chef de file de l’opposition, l’honorable Soumaïla Cissé a été enlevé. Ç’aurait été un pays soucieux, on aurait dû sursoir à ces élections jusqu’à ce que ce dernier soit retrouvé. Ni le gouvernement, ni l’opposition, encore moins un membre du parti du candidat enlevé n’a appelé à cela. Raison pour laquelle, je n’ai pas du tout été surpris des contestations.
Les citoyens sont sortis pour contester l’arrêt de la Cour constitutionnelle jusqu’à l’installation du Président de l’Assemblée Nationale, les tensions, les rassemblements ont persisté et donné naissance au M5-RFP qui demande la démission du Président de la République. Le pays étant paralysé, que pouvez-vous proposer pour une sortie de crise aujourd’hui ?
Je vous remercie pour cette question. Ceux du mouvement qui demandent la démission du président de la République aujourd’hui ont, d’une manière ou d’une autre, participé à la gestion du pays. Ce sont les élections qui ont précipité ce soulèvement. Les citoyens souffraient d’insécurité, d’injustice sous toutes ses formes. On a l’impression que le pays n’a pas de gouvernant. La faute n’incombe pas au seul président ou à son gouvernement mais, c’est lui le premier responsable, donc, il doit porter le chapeau. J’ai approché ce mouvement, j’ai d’abord dit que le Président a peut-être la bonne volonté de bien faire, mais qu’il s’est trompé dans le choix des hommes qu’il faut pour une bonne gouvernance. Demander le départ du président avant la fin de son mandat est plausible. Mais qui allons-nous choisir pour le remplacer ? Est-ce un membre de la société civile ou un militaire ? Voilà des questions auxquelles je n’ai pas eu de réponse. C’est pourquoi, je n’ai pas voulu être signataire de ce mouvement. Parce que, nous avons chassé ATT, la transition a été assurée par le CNRDE en quelque sorte, les élections ont été organisées dans les conditions que tout le monde sait. C’est ce qui a amené IBK au pouvoir qui ne nous avait pas dit exactement comment il allait gérer le pays à travers un programme.
C’est ce dernier que nous voulons aussi chasser aujourd’hui. Je crains un autre saut dans l’inconnu. Ceux qui demandent aujourd’hui le départ du Président ont le plein droit de le demander, mais sont-ils nouveaux sur la scène politique malienne ? Parmi ces hommes politiques, qui ose fixer ATT aujourd’hui dans les yeux ? Encore moins IBK ? Ça ne doit pas être une question de personne, c’est le Mali qui doit être mis devant. Les vieux ne veulent pas céder la place aux jeunes, alors qu’on ne peut pas avoir d’expériences sans être dans les affaires. Et les quelques rares jeunes qui ont eu la chance d’intégrer les affaires sont malheureusement manipulés. Cette pratique a tué le talent de beaucoup d’entre eux. Ce soulèvement est légitime et nécessaire, mais sachons aussi qu’il faut le dialogue entre les deux parties. Une fois qu’un accord est trouvé, le Président doit choisir les gens par le mérite, pour relancer l’économie du pays durant les trois années qui restent, assurer l’éducation, la santé et d’autres maux de la république. Le pays est au bord du gouffre, il a besoin de tous ses fils et filles pour donner un nouveau souffle à toutes ses institutions.
La CEDEAO a fait des propositions de sortie de crise. Qu’en pensez-vous ?
C’est vrai, le Mali est membre de la CEDEAO, mais le Mali a toujours été un pays de dialogue. Il y a des associations, qu’elles soient religieuses, culturelles ou traditionnelles, qui devraient faciliter ce dialogue entre les différentes parties. Les mêmes associations sont entretenues par l’Etat d’une manière ou d’une autre. Ce qui est aussi regrettable dans ce pays, toutes les associations ou regroupements apolitiques ont été infiltrés et désorientés de leurs missions par les hommes politiques. A commencer par l’AEEM, le RECOTRADE, le HCI,… C’est toujours diviser pour mieux régner. Ce sont les hommes politiques qui sont à l’origine de toutes ces divisions dans les différents mouvements et associations. Sinon, à mon avis, on n’avait pas besoin de la CEDEAO chez nous ici.
Parlant des recommandations faites par elle, il serait difficile pour les députés désignés de démissionner ou encore d’organiser des élections partielles parce que, ce n’est pas prévu par la loi. Voilà ce que je propose, nous avons 147 députés depuis 1991 avec 15 millions d’habitants. Nous sommes à plus de 20 millions d’habitants en 2020. Il y a eu des découpages administratifs et la création de nouvelles régions. Si nous sommes véritablement un pays de dialogue, vu la situation actuelle du pays, qu’on aille vers un consensus en intégrant tous les trente-un députés qui se disent spoliés et l’Etat gère le budget de l’Assemblée Nationale, il n’y aura pas de frustration. Dans ce cas, pas besoin d’augmenter le budget pour cette fin. Sachant bien que chaque malien se doit un sacrifice pour l’Etat, ils doivent accepter ces conditions et tout serait partagé en fonction de cette majoration d’élus sans augmentation de quoi que ce soit. Ça coupe court et met fin au différend lié aux élections législatives qui se trouve à la base de cette crise.
Quant à la dissolution de la cour constitutionnelle, c’est une institution dont les arrêts sont inattaquables et sa présidente l’a dit, même le Président de la République ne peut leur demander de revenir sur les résultats constitutionnellement, encore moins la dissoudre. Ces propositions de la CEDEAO ne peuvent pas résoudre nos problèmes. Demander l’installation de six ministères régaliens, je me demande s’ils ne se sont pas trompés dans leurs propositions. Est-ce que ces ministères seront mis sur place par le président de la république seul ou en collaboration avec les contestataires, ils n’ont pas été clairs à ce niveau. Aujourd’hui, le Mali a besoin de ses institutions, ces propositions ne peuvent résoudre en rien nos problèmes. Et si on n’acceptait pas les propositions de la CEDEAO, nous risquerons de connaître encore l’embargo qu’elle nous avait imposé après la chute du régime d’ATT. Depuis ce temps, les résolutions de la CEDEAO n’ont pas été salutaires pour le Mali.
La solution est et demeure entre les mains de ceux qui sont aux commandes. Dans la gestion d’un pays, il faut de la discipline, la rigueur, je cite le cas du Rwanda de 1991 à nos jours, ce sont toujours les mêmes acteurs politiques, religieux que nous voyons. Ceux parmi eux qui ont bien géré ne sont pas nombreux. Nous sommes certes des jeunes, mais nous sommes des observateurs de près.
Pour éviter un éventuel embargo de la CEDEAO dont la feuille de route a été accepté par les Nations Unies, parce que nous pourrons faire l’objet d’une autre sanction. S’il devrait avoir quelqu’un aujourd’hui qui devrait souffrir de la situation actuelle du pays, c’est le Président de la République, qui est un acteur majeur de l’avènement de la démocratie au Mali. Je suis pour son maintien mais, sur la base de nouvelles propositions par rapport à la gestion du pays durant le reste de son mandat afin de mieux préparer les élections en 2023.
Propos recueillis par Drissa Togola/Le Challenger