Attention à la procédure de trop !

 Ancien ministre de la République et ambassadeur, homme politique avisé, Me Boubacar Karamogo Coulibaly est une figure très emblématique du barreau malien. Il se prononce sur les plaintes déposées par les syndicats des magistrats (syndicat autonome de la magistrature et syndicat libre de la magistrature) contre deux avocats Me KassoumTapo et Me Mohamed Ali Bathily. Selon lui, il faut faire attention à la « procédure de trop » et le corps de la magistrature « ne gagnerait rien à se mettre à dos le peuple malien déjà pas globalement satisfait de la distribution de sa justice ». « Certes, je n’ai pas soutenu et défendu gratuitement à la demande de l’Ordre, les magistrats injustement incriminés par Moussa Traoré à Koulikoro et ailleurs pour accepter que vous transformiez votre belle profession en un fort inexpugnable, en une espèce de Fort Alamo. Chers frères et sœurs, restez humains. Autant d’orgueil ne sied qu’à Dieu seul ». Lisez plutôt la contribution de Me Boubacar Karamogo Coulibaly.

 

Chers amis, de par les responsabilités assumées et, mes années de Barreau, je crois pouvoir humblement revendiquer une posture de sage par rapport aux affaires de la Cité en général et, en particulier celles relatives à la famille judiciaire. Oui, j’ai bien utilisé le mot famille et cela n’est guère fortuit.

En effet, depuis quelques jours, la Cité charrie avec insistance la rumeur d’une plainte commune des deux syndicats de la magistrature contre deux autres professionnels du droit. Ces deux professionnels du droit qui sont tous avocats ont également en commun d’avoir été gardes des Sceaux et ministres de la Justice. Et l’un d’entre eux a même été Bâtonnier de l’Ordre des avocats. Cela n’aurait jamais dû arriver tant  les deux professions sont régies par des textes clairs. Textes qui ont justement prévu les modes de saisine et de règlement des incidents qui peuvent émailler les relations dans l’exercice desdits métiers. Il faut dire qu’en la matière, ladite plainte a péché par la forme.

Oui, au niveau des deux syndicats, l’émotion l’a emporté sur la raison en ignorant superbement de saisir le BARREAU comme les textes le prévoient, à travers le Procureur général près la Cour d’appel de Bamako. Faudrait-il donc comprendre aussi, à travers cette plainte et les différentes mises en garde passées, que lesdits syndicats, par esprit corporatiste, veulent empêcher toute critique contre leur immaculée profession ? D’ailleurs, est-elle si immaculée que l’on veuille le faire croire ? Du reste, existe-t-il en le monde une telle profession ? Certes, en toutes les professions, il y a des vertueux et des brebis galeuses, des compétents comme des incompétents. Voilà pourquoi aucune profession ne saurait échapper à la critique.

Créature de Dieu, donc imparfait, l’homme pour faire court ne saurait être à tout propos au-dessus de tout reproche. Ainsi, les membres desdits syndicats devraient comprendre que leurs membres, assumant des missions de service public, ne sauraient être au-dessus des reproches et des critiques, tant de l’opinion publique que des professionnels du droit. Quoi de plus normal qu’un avocat investi dans une procédure fasse connaître son ressenti ? Cela a régulièrement lieu ailleurs après jugement de chaque grande affaire. Au lieu d’en prendre systématiquement ombrage, l’on devrait en prendre de la graine pour améliorer l’offre de service de la justice au public.

Chers magistrats dirigeants desdits syndicats, chers frères, cette plainte ne vous honore pas, ne nous honore pas, nous membres de la famille judiciaire. Car le linge sale se lave bien en famille et non sur la place publique. En respectant nos institutions, nous nous respectons tout simplement. Je reste sur le respect des principes comme vous le constatez, à l’exclusion des considérations de fond que cela ne manquera pas de soulever à bon droit. Chers frères, le peuple malien a consenti un lourd sacrifice pour l’avènement de la démocratie et de ses corollaires dans notre pays. J’ai personnellement marché en 1990 avec Amidou Diabaté, à l’époque magistrat et responsable du syndicat de la magistrature,  pour protester contre les abus du régime de Moussa Traoré contre les magistrats. J’ai participé à un sit-in en face du ministère de la Justice, occupé à l’époque par le Pandore SambouSoumaré.

Chers frères, je n’ai pas participé à cette lutte pour affranchir la magistrature de la dictature de Moussa Traoré, pour retomber aujourd’hui sous celle de votre profession fût-elle d’élite.

Certes, je n’ai pas soutenu et défendu gratuitement à la demande de l’Ordre, les magistrats injustement incriminés par Moussa Traoré à Koulikoro et ailleurs, pour accepter que vous transformiez votre belle profession en un fort inexpugnable, en une espèce de Fort Alamo.

Chers frères et sœurs, restez humains. Autant d’orgueil ne sied qu’à Dieu seul.

Du reste, même Lui, n’échappe pas à nos vaines  critiques,  nous pauvres mortels ingrats à son encontre. Combien de fois, trouvant raisons en nos incartades, pouvait-Il dire à Bilali d’empoigner sa mythique corne, Bilali ka bouroukô ni ? Et pourtant nous sommes encore là à profiter de Ses bienfaits.

Chers frères, souffrez que l’on puisse vous critiquer ainsi que votre profession qui est un des piliers de l’État de droit. Souffrez que les Maliens qui vous paient puissent vous critiquer et même vous harceler pour davantage obtenir une bonne distribution de la justice.

Ce soir, je n’invoquerai ni Montesquieu, ni l’odieux empereur raciste Napoléon Bonaparte le nain, mais le glorieux Maximilien de Robespierre, célèbre avocat et mythique acteur de la Révolution française de 1789.

Il disait notamment que « l’innocence ne peut et ne doit redouter la surveillance publique ».

Alors, attention à la procédure de trop !  Ko gnougougnougou dé bi sé ka gnagagnagawilideh. La profession ne gagnerait rien à se mettre à dos le peuple malien déjà pas globalement satisfait de la distribution de sa justice. Sachons donc raison garder.

 Me Boubacar Karamogo Coulibaly

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