Visite de Choguel en Côte d’Ivoire : Enjeux judiciaires d’un séjour en Eburnie et prochaine extradition de Karim Kéita ?

Dossier d’extradition de Karim Kéita ; arrestation et extradition en vue de l’ancien député maire de Dabou, Sess Soukou Mohamed – Ben Souk ; ‘’explications sur les raisons de la Transition’’, sur fond de menaces de poursuites pour corruption et délinquance financière éclaboussant gravement l’ancien président IBK ! Voilà quelques-uns des sujets sur lesquels le Colonel Assimi Goïta s’est fait représenter par Choguel Maïga, arrivé à Abidjan ce lundi 9 août.
Le Congrès de l’Union postale universelle, qui se tiendra sur les bords de la lagune Ebrié du 9 au 27 août est une opportunité pour le Premier ministre malien, Choguel Maïga, d’exécuter un agenda politique très fourni, dont le judiciaire n’est pas des moindres. Et l’accueil protocolaire quelque peu tiède, réservé au Chef du Gouvernement malien reçu non par son homologue ivoirien Patrick Achi, mais par la Ministre d’Etat des affaires étrangères Kandia Camara, déteindra finalement très peu sur les enjeux politiques importants autant pour le Mali que pour la Côte d’Ivoire. Et pour cause, au menu de cette visite, des négociations tendues quant au sort réservé au fiston national finalement objet d’un mandat d’arrêt dans l’affaire de la disparition du journaliste Birama Touré et les dossiers des scandales financiers qui ont jalonné la période du pouvoir du défunt régime.
L’affaire Karim Kéita
Certes, la partie ivoirienne a officiellement placé la visite de Choguel sous le sceau d’une « Mission d’information sur les raisons de la Transition… ». Pour autant, des informations sur les raisons de la Transition paraissent bien tardives qui ne sauraient occulter les conséquences du mandat d’arrêt, lancé le 5 juillet dernier contre Karim Kéita, le fils de l’ancien Président malien IBK. Car aussitôt après la chute du régime de son père en août 2020, le tout-puissant fils du président malien avait trouvé refuge en Côte d’Ivoire après une exfiltration organisée vraisemblablement par le défunt Premier ivoirien Ahmed Bakayoko dont il était ouvertement très proche.
En effet, c’est au retour du Chef du Gouvernement malien que le Procureur de la Commune IV a ordonné l’arrestation de l’opposant ivoirien, connu comme un dirigeant important de Générations et peuples solidaires, GPS de Guillaume Soro, lui-aussi en délicatesse juridique avec le régime ivoirien actuel. La justice malienne explique dans un communiqué procéder ainsi à l’exécution d’un mandat d’arrêt international décerné depuis le 10 novembre 2020, par un juge d’instruction du Tribunal de Grande Instance d’Abidjan-Plateau, contre l’ancien député pour des actes subversifs.
L’arrestation et la probable extradition de Ben Souk permet au Mali de faire pression sur la Côte d’Ivoire. En effet, le correspondant de RFI, dans un tweet, s’interroge malicieusement de savoir la disponibilité du Mali à extrader l’ex-élu ivoirien est un « échange de ‘’bons procédés’’ en perspective ».
Cette réponse rapide du Mali tend à inciter la partie ivoirienne à plus de réciprocité. De surcroît, la situation politique de l’ancien député Maire est clairement établie, avec la qualification « d’actes subversifs ». Mais dans le cas de Karim Kéita, il en va autrement, car il s’agit bien d’une affaire pénale : il s’agit de l’entendre sur la disparition d’un homme. Au demeurant, le fils de l’ancien Président malien. Le prétexte d’une poursuite politique, comme veulent le laisser entendre les conseils de l’ancien fiston national, ne saurait prospérer encore moins être mis en avant par la partie ivoirienne pour traîner les pieds comme elle le fait jusqu’à présent.
Mieux, certaines informations assurent que le pouvoir ivoirien aurait même conseillé à l’ex-président malien la destination togolaise à son fils, le Président togolais Faure Gnassingbé étant considéré comme celui qui appuyait les prétentions politiques de Karim Kéita.
IBK sous protection ivoirienne
Mais au-delà de cette affaire, la Côte d’Ivoire est soupçonnée de vouloir soustraire l’ancien Président malien à d’éventuelles poursuites. La détermination, ou du moins les annonces en la matière, quant à l’impulsion de poursuites prochaines contre les prédations financières suscite de fortes appréhensions de l’entourage du président déchu du Mali, dont les liens d’affaires ont de solides ramifications en Côte d’Ivoire. Les innombrables scandales financiers, qui ont été sa marque déposée en terme de gestion durant son règne, ne manqueront pas de l’éclabousser. En cause essentiellement, les affaires entourant d’importants marchés hyper surfacturés, accordés à des hommes d’affaires, gravitant dans les sphères politiques ivoiriennes, ainsi que des sociétés écrans et d’autres prête-noms, qui ont été autant de pompes à finances servant au détournement de plusieurs centaines de milliards de fonds publics maliens. Visiblement, ADO, le Président ivoirien ne souhaiterait pas l’ouverture de cette boîte de Pandore dont les autorités actuelles de la Transition se servent comme d’un épouvantail qui fait trembler une bonne partie de la nomenklatura sous régionale des milieux politiques et des affaires. Des enquêtes du genre pourraient mettre en cause les liens très forts d’IBK avec la Côte d’Ivoire, le Togo et le Gabon, dont l’ancien président malien a voulu, à l’instar de ces deux derniers pays, reproduire au Mali le mode de dévolution dynastique du pouvoir.
ADO, un ami de toujours du Mali
La visite de Choguel intervient donc sur fond de relations quelque peu difficiles entre le Mali et la Côte d’Ivoire, bien que les deux parties s’évertuent à en réduire la portée A tort ou à raison, le Président ivoirien, Alassane Dramane Ouattara a été accusé de soutien indéfectible au défunt régime alors très contesté de Ibrahim Boubacar Kéita. Il est vrai que le leader ivoirien, alors en quête d’un troisième mandat contesté et gênant pour ses pairs et soutiens extérieurs, avait multiplié les postures assez équivoques, à travers une inopportune intransigeance sur les principes et règles internationaux dont ceux de la CEDEAO quant aux modes d’accession au pouvoir. Par ailleurs, le fait que l’ex famille présidentielle et surtout le fils controversé d’IBK, le député Karim Kéita, aient trouvé refuge en terres ivoiriennes, aussitôt consommée la chute du régime paternel, a convaincu les maliens des liens jugés troubles, sulfureux même, voire nettement au détriment du Mali, liant la famille d’IBK aux autorités ivoiriennes, avec en tête le défunt chef de gouvernement ivoirien, Ahmed Bakayoko.
Pourtant, comme en 2012 après le coup d’Etat le plus bête du monde du capitaine boucher de Kati, Amadou Aya Sanogo, Alassane Dramane Ouattara demeure le plus fort soutien du Mali dans la sous-région. Autant, il s’était montré assez ferme sur les principes jusqu’à menacer d’imposer les sanctions communautaires, autant le Mali lui doit d’échapper à chaque fois à des contraintes plus lourdes. D’ailleurs, Assimi doit son adoubement au Ghana, après son second coup d’État en moins d’un an, au Président ivoirien qui aurait incité ses pairs à plus de clémence envers ce grand corps malade de l’organisation communautaire ouest-africaine qu’est le Mali depuis plus d’une décennie. De là à penser que par son opportune arrestation en vue de son extradition, l’opposant ivoirien ait été sacrifié sur l’autel d’échanges de bons procédés, il n’y a qu’un pas que la visite de Choguel en terre ivoirienne n’a fait que renforcer l’idée.
Jean-Baptiste Satono/La Révélation