Lutte contre l’extrémisme violent par le dialogue:Et si le Mali s’inspirait de l’expérience mauritanienne ?

Dans la lutte contre la lutte contre l’extrémisme violent par le dialogue, le Mali pourrait volontiers s’inspirer de l’expérience mauritanienne afin de déradicaliser ces nombreux jeunes enrôlés et formés par les groupes radicaux comme combattants.

Selon Dr. Diomassy Cissoko, l’extrémisme violent est un comportement politique, religieux, culturel, social consistant à défendre les positions les plus radicales d’une idéologie ou d’une tendance. En conséquence, explique-t-il, les actions extrémistes sont violentes et agressives car visant un changement radical de l’environnement. Ces méthodes très négatives, détaille Dr Cissoko, ne provoquent que désordres et chaos dans la société.
C’est ce qui se passe au Mali depuis plus d’une décennie avec de nombreux groupes extrémistes, dont le projet est apparemment l’expansion de la violence au nom d’une idéologie religieuse. Depuis plus de 10 ans, des actions militaires en cours au Mali ne parviennent pas à éradiquer ce phénomène. C’est pourquoi de nombreux observateurs prônent de plus en plus le dialogue comme un moyen de lutte contre l’extrémisme violent afin de déradicaliser certains jeunes enrôlés comme combattants par les groupes radicaux.
Déjà en 2017, l’ancien Premier ministre Abdoulaye Idrissa Maïga a eu l’heureuse initiative de créer une Mission de bons offices sous la direction de l’Imam Mahmoud Dicko, alors président du haut Conseil islamique du Mali. Mais la mission a été subitement abandonnée sous une vive pression française.
Ensuite, les recommandations de trois importants fora nationaux dont ont toutes mis en relief la nécessité de dialoguer avec les groupes djihadistes maliens. Ce sont la Conférence d’entente nationale tenue également en 2017 en application de l’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali issu du processus d’Alger et le Dialogue National Inclusif organisé en 2021.
Presque plébiscité en 2013 pour mettre fin à la crise au nord du Mali, le regretté président Ibrahim Boubacar Kéita avait finalement affiché son option de nouer le dialogue avec les groupes radicaux. Idem pour le premier gouvernement de transition dirigé par le Premier ministre Moctar Ouane.
L’actuel gouvernement de transition reste muet sur la question après une cacophonie en octobre 2021 entre le ministre des Affaires religieuses, celui du Culte et le Cabinet du Premier ministre sur le mandat donné au Haut conseil islamique du Mali de négocier avec les groupes radicaux.
Et pourtant dans un document consultable en ligne qu’ils ont cosigné, Hassane Koné et Ornella Moderan estiment que l’engagement de la Mauritanie dans la promotion du dialogue avec les djihadistes pourrait inspirer d’autres nations sahéliennes dont le Mali. Le premier est Chercheur principal et la seconde Cheffe du programme Sahel du Bureau régional de l’Institut d’études de sécurité (ISS) pour l’Afrique de l’Ouest, le bassin du Sahel et du lac Tchad.

Consensus sur l’idéal non-violent du djihad

« Fin 2009, après plusieurs années d’attaques djihadistes meurtrières et face aux limites de la réponse militaire, les autorités mauritaniennes ont décidé d’entreprendre une démarche politique visant à prendre en compte les causes de la radicalisation religieuse. Elles ont ainsi engagé un dialogue idéologique avec 70 détenus djihadistes, afin de détricoter les ressorts de leur radicalisation et de les réinsérer. Leur exemple devait dissuader d’autres ralliements aux groupes extrémistes violents », rappellent-ils. Selon eux, «à partir du 18 janvier 2010, deux semaines de débats conduits par des dignitaires religieux respectés et reconnus, mandatés par les autorités mauritaniennes, ont dégagé un consensus sur l’idéal non-violent du djihad ».
Aux dires des deux experts, « le dialogue doctrinal avait également une fonction sociétale. Il visait à combattre l’implantation locale du salafisme djihadiste. Cette idéologie, qui prône le recours à la violence pour imposer un islam puriste, influençait déjà une large frange des élèves des écoles coraniques mauritaniennes, appelées Mahadras ». « La stratégie de l’État mauritanien, afin de prévenir la radicalisation, incluait également la formation professionnelle des « repentis » et des sortants des mahadras pour leur intégration dans le marché du travail. Elle a réduit drastiquement les ralliements des jeunes aux groupes djihadistes, contribuant au succès de l’approche globale qui a permis au pays de se prémunir des attaques terroristes depuis 2011 ».

Une stratégie de dialogue plus large

Ensuite, si le dialogue doctrinal peut déradicaliser les djihadistes motivés par un référentiel religieux, son efficacité pourrait s’avérer limitée face à d’autres types d’incitations. Or, les recherches de l’Institut d’études de sécurité montrent que la conviction religieuse n’est pas la seule cause d’enrôlement dans les groupes djihadistes au Sahel, rappellent Hassane Koné et Ornella Moderan. «Beaucoup s’associent à ces groupes pour garantir leur propre protection, celle de leurs proches ou de leurs moyens d’existence, ou pour se venger des abus des forces armées nationales. Ces motivations immédiates se superposent souvent à des frustrations liées à des injustices sociales, à l’absence de perspectives et au manque de services de base, tels que l’accès à l’eau, à l’éducation, ou à la santé. S’y ajoutent les lacunes des services de sécurité et de justice de l’État ».
A en croire Almoubareck Maïga, Professeur de lettres dans un établissement secondaire de la place, l’accompagnement des jeunes sur le marché d’emploi ne semble point au rendez-vous dans la grande majorité de nos pays du sahel. L’enseignant ajoute : la défaillance de nos systèmes éducatifs a créé aussi chez beaucoup de jeunes l’absence d’un esprit critique afin de pouvoir faire du choix entre le bien et le mal.
Si le débat doctrinal peut donc être utile, soulignent les deux chercheurs de l’ISS, il doit néanmoins s’inscrire dans une stratégie de dialogue plus large, mieux à même d’aborder les causes profondes des ralliements aux groupes djihadistes qui sont entre autres de nature sociale, sécuritaire, économique et politique.

Boubacar Idriss Diarra /Le Challenger

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