Maï Moussa Basshir, Président de l’HALCIA au Niger: «On engage nos investigations en toute indépendance»

La Haute Autorité de la lutte contre la corruption et les infractions assimilées (HALCIA) est un pilier essentiel du dispositif nigérien de promotion de la bonne gouvernance. L’organe traque en toute indépendance les fossoyeurs des deniers publics. Magistrat chevronné connu pour sa liberté de ton, Maï Moussa Basshir est le Président de la HALCIA. Dans un entretien avec un groupe de journalistes africains, le 9 juin dernier dans son bureau, il rassure que la HALCIA mène ses investigations en toute indépendance. Il a réaffirmé la volonté politique affichée du Président Mohamed Bazoum de lutter contre la corruption.

Créée en 2011, la Haute Autorité de la lutte contre la corruption et les infractions assimilées (HALCIA) appuie les organes de contrôle. Elle intervient aussi dans l’observation des élections. Sans négliger ses missions de prévention et de sensibilisation, elle apporte et assiste les autorités publiques à prendre des mesures législatives et réglementaires dans le cadre de la lutte contre la corruption et les infractions assimilées. Fait notable : depuis deux ans, a révélé son Président Maï Moussa Basshir, la HALCIA intervient dans l’organisation des examens et de concours d’intégration à la fonction publique sur l’ensemble du territoire national.
Disposant d’une équipe d’enquêteurs de 93 officiers de police judiciaire dirigée par un capitaine de la gendarmerie, la HALCIA mène des investigations relatives aux actes de corruption et autres pratiques. Elle peut être saisie par tout citoyen qui a connaissance des faits de corruption ou de détournement. Elle peut aussi s’autosaisir. Quand la justice est saisie d’une affaire, la Haute Autorité ne peut plus mener des investigations.

‘’Nous sommes un organe d’investigation, la justice un autre organe de poursuite’’
Selon son Président, les rapports de l’HACIA étaient transmis au Président de la République qui saisissait à son tour le ministre de la Justice, lequel avait la charge de saisir le Procureur de la République pour engager les enquêtes préliminaires. Mais depuis 2016, une loi autorise la Haute Autorité à transmettre directement ses rapports au Procureur de la République. A en croire Maï Moussa Basshir, le Procureur de la République a une obligation légale d’ouvrir une information. Pour permettre à l’opinion publique de connaitre les contenues de ses investigations, la HALCIA publie un communiqué de presse. «Nous sommes un organe d’investigation. La justice est un autre organe de poursuite», a rappelé le Président du HALCIA.
La corruption, selon le Président de l’HALCIA, est un fléau mondial. «C’est vrai qu’il y a la petite corruption et la grande corruption mais la petite corruption est également aussi nocive que la grande corruption». Selon lui, les services les plus corrompus à la lecture des statistiques sont les services publics de l’Etat. Maï Moussa Basshir a évoqué le taux de perception de la corruption (87% Douane), 84% (Police), 111% (Justice).

Être pauvre et être digne
« Malgré les efforts fournis par les législateurs pour mettre en place un organe d’appui aux structures, le taux de la corruption ne se réduit pas. Il faut une réorientation de ce que nous sommes en train d’engager : la sensibilisation. La prévention est toujours bonne mais moi je suis un magistrat et ancien procureur. Je sais que si nous ne luttons pas contre l’impunité, la corruption ne peut pas finir », a-t-il lancé.
Selon lui, la faible rémunération des fonctionnaires n’est pas une excuse pour justifier le niveau de la corruption. « Il y a moins de deux semaines, j’étais avec les directeurs régionaux de la police. Ils sont venus en réunion. La HALCIA est venue faire une communication par rapport aux bureaux des commissariats. Un commissaire a déclaré qu’il y a une quinzaine d’années, un homme politique nigérien a reçu le rapport sur la corruption au milieu judiciaire recommandant l’amélioration des conditions salariales d’abord, puis des conditions de travail… L’homme politique – que je ne nommerai pas – a répondu par la négative car à son avis, plus le magistrat est mieux traité, plus il est corruptible…A l’époque, j’étais écœuré… J’ai avoué à mon ami le commissaire que lorsqu’il a dit ça, j’étais écœuré. Mais aujourd’hui, je gratte la tête. Pourquoi ? Parce que quand vous voyez les conditions, le traitement de certains fonctionnaires, notamment les magistrats qui prennent aujourd’hui environ quatre fois leurs salaires d’il y a vingt ans et que le taux de la corruption dans ces milieux reste élevé, je me pose la question……. ». Maï Moussa Basshir pense qu’on peut être pauvre et être digne. « Je pense que l’aspect répression, je vous le dis et ne le cache pas, est fondamental… ».

Engagement solennel du Président à lutter contre la corruption
Le Président de la HALCIA se réjouit de l’absence de pression politique sur lui et ses enquêteurs dans le cadre de leur travail. « On n’a pas de pression. Le chef de l’Etat lors de son investiture a clairement dégagé sa position par rapport au mal et a décidé solennellement de prendre l’engagement de lutter farouchement contre la corruption et de la réprimer conformément aux dispositions de la loi. On n’a pas de pression heureusement. D’ailleurs quand on parle de pression, les gens pensent à la pression politique. La pression peut être familiale, elle peut être sociale, elle peut être liée au pouvoir de l’argent. On n’a pas de pression. On engage nos investigations en tout indépendance ».
En 2021, la HALCIA a fait au moins six autosaisies. Le Président Maï Moussa Basshir et ses éléments viennent de boucler huit mois d’investigation au niveau de plusieurs services de la Douanes de Niamey. « Le rapport est déjà terminé. Nous sommes en train de préparer un communiqué de presse pour informer l’opinion et déposer le dossier à la Présidence et au Parquet ». Des hautes personnalités sont visées par des enquêtes de la Haute autorité. Il a rappelé que le Procureur de la République a engagé des poursuites contre le ministre de la Communication sur la base d’un rapport de la HALCIA pour des faits commis dans ses fonctions antérieures de directeur d’une structure publique. Il a été inculpé et placé sous mandat de dépôt par un juge d’instruction.
Le budget de la HALCIA, déplore cependant son premier responsable, va de plus en plus décrescendo. «En 2012 nous avons plus d’un milliard trois cent millions FCFA de budget. Ces dernières années, le budget s’est stabilisé à quatre cent millions », a-t-il déclaré sans oublier de souligner un appui de deux cent soixante millions de franc CFA par l’Union européenne. «Ces appuis ont permis d’améliorer un peu les conditions de recouvrement de régies de l’Etat. Au cours de l’année 2021, nous avons pu recouvrer environ onze milliards ». Si la loi donne à la HALCIA et aux témoins 5% des montants recouvrés, Maï Moussa Basshir regrette la non-application de cette disposition légale.
Il reconnait que le gouvernement a bonne conscience des difficultés de la Haute Autorité dans ce domaine. « Les autorités politiques sont au courant. Elles savent qu’on ne peut pas lutter contre la corruption avec un organe comme la HALCIA sans injecter assez de moyens d’investigation. Par exemple, on a été saisi la semaine passée de deux affaires à la région d’Agadez. Pour ceux qui ne savent pas, c’est une région à 1000 km de Niamey. S’il faut envoyer quinze enquêteurs pour ces deux affaires….., c’est un peu compliqué mais nous allons le faire. Nous avons aussi des faits qui ont été dénoncés à Diffa à 1500 km de Niamey. S’il faut envoyer cinq à six enquêteurs à Diffa pour faire 1500 km aller-retour avec tout ce que cela comporte comme difficultés !…».

Vers une directive de la Cedeao pour la récupération des avoirs criminels
Interrogé sur les cas d’immunité, Maï Moussa évoque un problème très complexe et global pour les pays africains. Les personnalités bénéficiant de ce privilège, a-t-il précisé, peuvent être poursuivies mais il faut qu’elles passent au niveau de l’Assemblé nationale pour la levée de l’immunité. Selon lui, l’Africain comprend mal l’immunité. Dans certains pays, a-t-il expliqué, les gens démissionnent pour se défendre devant la justice. L’ancien Procureur de la République a évoqué le cas de ce député impliqué dans une affaire de drogue dont l’Assemblée nationale a refusé de lever l’immunité. « Il y a d’autres députés qui étaient impliqués et là les députés de la majorité et certains de l’opposition se sont entendus pour ne pas voter la levée de l’immunité », a-t-il révélé, avant d’ajouter : « ça crée un blocage, une forme d’injustice et altère tout ce que nous menons dans le cadre de la lutte contre la corruption ».
Il a évoqué la tenue récente à Accra au Ghana d’une réunion sur la récupération des avoirs criminels et les enquêtes sans frontières. « Les agences de l’Afrique de l’Ouest se sont réunies pour élaborer une Directive qui sera signée par tous les pays membres de la CEDEAO pour nous permettre d’aller sans problème dans tous les pays pour mener des investigations afin de récupérer les biens volés».
Le Président de la HALCIA pense que les journalistes d’investigation peuvent être d’un apport de taille dans le cadre de leur travail.

Chiaka Doumbia*envoyé spécial à Niamey/Le Challenger

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