Dépolitisation de l’administration : « la fonction publique doit être loyale, intègre et compétente »

Le thème de cette réflexion porte sur la subordination de l’administration publique au pouvoir politique : comment protéger le fonctionnaire contre une politisation fonctionnelle de l’administration publique ? L’administration publique n’est-elle pas l’instrument le plus visible à la disposition du pouvoir politique pour mener à bien ses engagements ? Assurément oui !

Mener une réflexion sur les moyens de « protection du fonctionnaire contre la politisation fonctionnelle de l’administration publique » revient, au préalable, à définir les liens existants entre l’administration et le pouvoir politique. L’intérêt d’une telle réflexion est de faire des propositions concrètes pour protéger l’agent public contre les incursions politiques d’une part, et, d’autre part, envisager des mesures qui rendront l’administration plus performante.

L’administration publique représente l’ensemble des organes de l’Etat, des collectivités publiques et des établissements publics offrant des services non marchands pour l’atteinte des intérêts collectifs. Comme nous l’avons vu dans la séance introductive du cours Droit de l’administration : « dans une perspective fonctionnelle, l’administration publique est chargée des actions où la mission d’intérêt général est réellement prise en charge ». Les personnes chargées d’animer les services de l’Etat sont des fonctionnaires ; des personnes employées et/ou nommées par une personne publique dans des emplois permanents et titularisées dans des grades de la hiérarchie administrative dans le but de satisfaire l’intérêt général.
Cependant, l’expression « politisation des administrations publiques » se réfère à une déviation : celle qui conduit les responsables politiques de ces administrations à introduire dans celles-ci, sous des influences diverses, des agents qui ont une orientation politique déterminée, une conception particulière de la gestion publique et/ou des méthodes qui permettent à ces responsables de faire de la politique au sens péjoratif par des mesures, des voies ou des moyens surtout destinés à maintenir et à conforter leur pouvoir . ».
Comment arrive-t-on à une « politisation fonctionnelle » de l’administration publique ? Quels moyens de protection du fonctionnaire pouvons-nous proposer contre la politisation fonctionnelle ?
Dans ce travail, nous allons d’abord faire ressortir les origines de la politisation fonctionnelle de l’administration publique. Ensuite, nous réfléchirons sur les moyens de protection du fonctionnaire contre la politisation des administrations publiques.

I.Les origines de la politisation fonctionnelle de l’Administration publique :
Dans cette première partie, il s’agira de faire ressortir la forme et les modes de la politisation fonctionnelle de l’administration afin d’identifier les causes probables du problème de « politisation fonctionnelle de l’administration publique ».

A.La forme de la politisation fonctionnelle de l’administration publique
L’article 53 de la Constitution du Mali du 25 février 1992 stipule que : « Le Gouvernement détermine et conduit la politique de la Nation et dispose de l’administration et de la force armée ». Dès lors, si l’administration a vocation à gérer la chose publique, à servir l’intérêt général ou commun, il apparaît logique que des groupes d’intérêt ou des individus [qui accèdent au pouvoir] cherchent à l’instrumentaliser pour imposer leur conception de l’intérêt général dans le meilleur des cas, pour servir des intérêts particuliers dans le pire des cas. Ce qui crée un lien de subordination de l’administration publique vis-à-vis du pouvoir politique incarné par le Gouvernement qui dispose alors d’un ensemble de moyens humains et matériels pour mettre en œuvre ses orientations politiques.

Bien que l’administration publique, sur le plan organique, ait ses règles d’organisation et de fonctionnement qui le distinguent du politique, elle est sous la responsabilité du pouvoir politique comme le confirme l’article 53 de la Constitution malienne du 25 février ci-dessus cité.

Cependant on n’est en droit de se questionner sur la portée de la politisation de l’administration, étant donné que chaque ministre du gouvernement dispose d’un cabinet étoffé pour lui permettre de mener à bien ses objectifs politiques. Dans ce sens, le rôle de l’administration (à travers le secrétariat général et les services techniques du ministère) serait d’apporter son éclairage technique afin de mieux orienter les décisions politiques.

Dion (1991, p. 182) estime que « l’exercice du pouvoir politique exige […] une structure qui doit restée hiérarchisée puisque les décisions importantes doivent être arrêtées par les élus de la Nation. ». Au Mali, le premier d’entre eux est le Président de la République qui choisit le Premier ministre, chef du gouvernement et patron de l’administration publique.

De fait, la mise en place du Gouvernement est rapidement suivie par la détermination des services confiés à chaque ministre, en plus de son cabinet. Ainsi les premiers décrets pris par le nouvel exécutif concernent les attributions spécifiques des membres du Gouvernement et la répartition des services publics entre la Primature et les Départements ministériels.

Ces mesures règlementaires viennent formaliser la subordination fonctionnelle en mettant les services de l’Etat (service de la superstructure administrative, services centraux, services extérieurs, organismes personnalisés, autorités administratives indépendantes) sous le lien hiérarchique des responsables politiques chargés de la mise œuvre des politiques de l’Etat. Au regard de ce lien fonctionnel établi, il est nécessaire de réfléchir sur les modes de la politisation fonctionnelle de l’administration publique.

B.Les modes de politisation de l’administration publique
Le pouvoir politique, disposant de l’administration publique, exerce sur cette dernière un pouvoir hiérarchique afin de mettre en œuvre ses politiques de développement. Le pouvoir politique a, ainsi, l’occasion d’influer sur le choix des hommes chargés d’animer l’administration publique. Il le fait généralement à l’occasion du recrutement des agents ou au moment de la nomination à des emplois supérieurs. Ce qui nous conduit à une politisation progressive de l’administration publique.
Concernant le recrutement dans la fonction publique malienne, l’article 29 de la Loi n°02-053 du 16 décembre 2002 portant Statut général des fonctionnaires dispose que : « les recrutements s’effectuent par voie de concours. La mise en compétition […] fait obligatoirement l’objet d’une annonce sous la forme d’un avis officiel d’appel à candidats.».

De ce fait, il est sous-entendu que les postes à pourvoir répondent à des besoins identifiés par les administrations publiques (à travers les cadres organiques) et préalablement budgétisés. La seule dérogation au concours reste le recrutement sur titre dans le cas où « il est constaté que le nombre de candidats est inférieur aux emplois mis en compétition. » (article 30 de la Loi n°02-053).

Ce système établit l’égalité de tous devant l’emploi public en garantissant une certaine impartialité qui assure la qualité du recrutement. L’impartialité, la stabilité et la qualité des ressources humaines portent alors les germes de la culture du service public.

Par contre, les recrutements massifs en dehors de la procédure normale mentionnée ci-dessus, autorisés par les responsables politiques, visent surtout à entretenir la base du parti à des fins électoralistes. Depuis le début des années 2000, ce phénomène a tendance à se généraliser au sein de l’administration publique malienne. Ce qui alourdit nos administrations publiques et détériore la qualité des ressources humaines. Ces recrutements participent à la démotivation des agents publics et sapent l’autorité des responsables administratifs.

L’utilité de faire appel, pour certains postes, à des personnalités extérieures à l’administration n’est pas contestable. L’essentiel est que la procédure adoptée soit la plus objective et transparente. Dans ce sens l’emploi contractuel ne peut être qu’un emploi d’appoint destiné à répondre à des nécessités purement contingentes, la règle étant et demeurant l’emploi statutaire .
Quant à la nomination à des emplois supérieurs, elle donne l’occasion au pouvoir politique de choisir les responsables de première ligne de l’administration publique avec lesquels il est en interaction le plus souvent. Il en profite pour positionner ses hommes ; des affidés qui lui seront loyaux. Cette forme de nomination participe grandement à la politisation fonctionnelle de l’administration publique qui n’aura d’autre objectif que de servir les intérêts du « prince du jour » et non les intérêts collectifs. Cet état de fait décrédibilise l’administration publique et le rend vulnérable au mécontentement du public.

La politisation est à ce niveau facilitée par la fonction publique de carrière en vigueur au Mali vu que le fonctionnaire, entré dans un échelon donné, est appelé à occuper des postes successifs suivant sa carrière. Or l’accession à certains postes est déterminée par le pouvoir politique qui va privilégier ses partisans pour bénéficier des promotions afin d’en tirer des bénéfices ultérieurs.

En outre, la conclusion de certains accords politiques (Accord pour la paix issu du processus d’Alger par exemple) conduit souvent le pouvoir politique à faire des concessions importantes qui se traduisent souvent par des intégrations massives et/ou des régularisations. Ces formes de recrutement appauvrissent la qualité des ressources humaines de l’administration et érode la confiance du public au principe d’égalité d’accès à l’emploi.

En somme, la politisation fonctionnelle de l’administration publique vient, en premier lieu, de la relation forte, constitutionnelle à la base, qui lie pouvoir politique et administration publique. Elle s’accentue par les agissements et les interventions intempestives du pouvoir politique, qui cherche à consolider ses acquis ou renforcer les rôles de ses partisans, dans la sphère administrative.

Ainsi, l’administration politisée risque d’être régie par des considérations politiques. L’égalité du service public disparait et l’usager est désormais considéré comme un ami ou un ennemi. Les tenants du pouvoir s’autorisent, alors, des brimades et souvent des épurations visant à nettoyer les non partisans. Des agissements qui mettent à mal la crédibilité de l’administration publique. Mais quelles sont les mesures et les actions qu’on peut proposer pour protéger le fonctionnaire contre la politisation de l’administration ? Dans la seconde partie, nous mènerons une réflexion dans ce sens.

II. Moyens et actions de protection du fonctionnaire contre une politisation fonctionnelle de l’administration publique :

Dans une administration politisée où les avancements ou l’obtention des postes supérieurs sont liés à la détention de la carte du parti, des changements brusques et massifs de personnel sont préconisés instaurant un climat d’instabilité au sein de l’administration centrale mais aussi dans les établissements publics dont le nombre croît de plus en plus. Il y a lieu de réfléchir pour proposer des mesures règlementaires ou non pouvant protéger le fonctionnaire contre la politisation fonctionnelle de l’administration publique.

A.Mesures règlementaires :

L’administration publique, étant régie par des normes, il est tout à fait logique que nos propositions aboutissent à l’édiction de mesures règlementaires pour protéger le fonctionnaire contre la politisation fonctionnelle de l’administration publique.

A la lumière de la première partie de ce travail, nous pouvons formuler les propositions suivantes pour remédier à la situation : institutionnaliser une vingtaine de départements ministériels afin de stabiliser l’architecture du gouvernement ; les changements institutionnels fréquents sont sources de stress supplémentaires et de grande inquiétude pour les fonctionnaires qui composent l’essentiel des ressources humaines de ces départements ministériels ; légiférer sur l’accès aux hautes fonctions administratives dans l’optique d’instaurer un système transparent basé sur la compétence et l’égalité de tous à l’emploi en établissant des critères clairs et évaluables. Cela peut prendre la forme d’un appel à candidatures sous la responsabilité de commission indépendante de recrutement pour pourvoir des postes administratifs supérieurs ou la mise en œuvre d’enquêtes de moralité avant tout recrutement à ces postes.

Instituer des enquêtes de moralité avant de pourvoir à chaque emploi supérieur au sein de l’administration publique malienne ; formaliser la neutralité de l’administration vis-à-vis du politique pour garantir la stabilité des emplois de la fonction publique en dépit des soubresauts politiques. La neutralité ne remet pas en cause la subordination de l’administration publique au pouvoir politique mais vise à renforcer la séparation entre l’administratif et le politique. Dion (1991, 173) estime que cet « arrangement sert l’intérêt de tous : l’élu [politique] obtient assistance et le fonctionnaire protection […] » ; instaurer le New public management (NPM) ou Nouvelle gestion publique (NGP) qui « défend les idées d’autonomisation et de décentralisation des services administratifs, y compris en matière de ressources humaines, et modifie la relation entre l’administration et le citoyen en privilégiant la notion de « client » » .
Uniformiser les statuts des fonctionnaires en un seul cadre qui harmonise les conditions d’accès à la fonction publique et privilégie l’avancement dans la carrière du fonctionnaire en définissant des plans de carrière clairs qui limitent les interventions politiques ; instaurer une infrastructure éthique au sein de la fonction publique visant à inculquer des valeurs éthiques aux fonctionnaires leur permettant de faire face à la politisation fonctionnelle en étant loyaux au pouvoir politique. La loyauté du fonctionnaire n’est pas envers un parti politique ou un homme mais envers la collectivité qui est le bénéficiaire final de la mise en œuvre efficace des politiques publiques. En plus de ces mesures qui nécessiteront la prise de textes législatifs ou règlementaires, d’autres mesures peuvent être envisagées pour protéger le fonctionnaire dans l’exercice de ses fonctions.

B.Autres mesures :

Les autres mesures que nous formulons sont les suivantes : respecter scrupuleusement le statut général des fonctionnaires notamment dans le recrutement et la gestion des carrières des agents ; assouplir la subordination de l’administration au pouvoir politique en confortant l’administration dans son rôle technique et laisser le pouvoir politique assumer ses responsabilités politiques suivant le principe de l’imputabilité comme c’est le cas au Canada ; former les agents publics sur leurs rôles vis-à-vis du politique pour qu’ils restent dans leurs attributions de conseillers aux politiques qui bénéficient de la légitimité populaire pour mener à bien les programmes de développement au profit de la population ; instaurer une culture de la sanction/récompense pour récompenser les excellents fonctionnaires tout en réprimant les mauvaises actions à travers une évaluation réelle de la performance des fonctionnaires ; développer des mécanismes d’écoute des fonctionnaires pour recenser les problèmes auxquels ils sont confrontés dans le cadre de leur activité professionnelle.

Conclusion
En définitive, nous convenons que la politisation fonctionnelle de l’administration publique est un sujet de préoccupation qui se situe entre les concepts de compétence technique et de loyauté politique. Certes la relation fonctionnelle définie par la Constitution met l’administration au service du pouvoir politique qui lui-même est au service du peuple, mais les problèmes surgissent au moment où des intérêts particuliers prennent la primauté sur l’intérêt collectif. Ainsi, le pouvoir politique a toujours voulu faire main basse sur la gestion des fonctionnaires pour étoffer et maintenir sa base électorale.
Néanmoins, pour que l’administration publique puisse atteindre ses objectifs de service public sans discrimination, il lui faut travailler dans le respect des principes de clarté, d’indépendance, d’équité et de justice. Ainsi, Boudreau (dans Proulx, D., 2010, p.112) estime que : « la fonction publique doit être loyale, intègre et compétente. ». Mais, l’auteur précise que la loyauté doit être envers le gouvernement et le parlement et non envers les partis politiques !
Finalement ce sont ces caractéristiques combinées au respect du cadre administratif par le pouvoir politique qui permettront à l’administration publique de contribuer au développement économique, social et culturel.

RACINE/L’Oeil du Mali

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