Issoumaïla Cissé, Professeur en psychopédagogie : «Ce qu’il faut pour corriger les difficultés d’apprentissage »

Dans un entretien qu’il a bien voulu nous accorder, Issoumaïla Cissé, Professeur en psychopédagogie, spécialiste en difficultés et troubles d’apprentissage et coordinateur de l’école Papyrus, explique les difficultés rencontrées par les enfants soit en lecture, en écriture ou en calcul à l’école. Ce pédagogue chevronné nous invite à prendre l’avenir de nos enfants en main. Car même décideurs, nous sommes avant tout des parents d’élèves.
En parlant de pédagogie, quelles sont les difficultés qu’un apprenant peut rencontrer ?
Les troubles d’apprentissage rencontrés par un enfant sont ce qu’on appelle les troubles spécifiques d’apprentissage. Parce qu’il y a plusieurs troubles : trouble psychologique, neurologique…Les troubles spécifiques d’apprentissage sont ceux que l’enfant connaît dans une discipline ou dans une matière. Les plus connus sont la dyslexie, la dyscalculie, la dysorthographie et la dysgraphie.
On parle de dyslexie quand l’enfant a des difficultés à lire en classe. La dyscalculie est relative aux difficultés rencontrées par l’enfant à reconnaître les nombres, à s’en rappeler, à faire des calculs. Quand l’enfant a des difficultés en orthographe, à bien écrire les mots, on évoque la dysorthographie. Par exemple, vous dites ‘’éléphant’’ et l’enfant écrit ‘’éphant’’ ; ‘’téléphone’’ ; il écrit ‘’télévision’’… Parfois il écrit un mot à la place d’un autre. La dysgraphie concerne les enfants qui ne forment pas bien les lettres lorsqu’ils écrivent. Malgré les efforts de l’enseignant ou de l’enfant lui-même en apprentissage, son écriture reste illisible.
La dysphasie concerne les enfants qui ne prononcent pas bien les mots. Ils ont un langage oral saccadé, ils parlent souvent en télégraphie ou bien leur langue est un peu ‘’lourde’’ dans la bouche.
Nous allons ajouter les troubles de l’attention. C’est vrai que les enfants, à leur début, ne sont pas très attentifs. Mais pour certains, c’est beaucoup plus grave. Par exemple, ils ne mettent pas les boutons comme les autres ou ont du mal à nouer les lacets. En fait, ils ne peuvent pas faire les actions les plus simples à l’instar de leurs camarades d’âge. Il est déconseillé de négliger ces difficultés qui peuvent s’accumuler au fil du temps. Elles n’ont pas de lien avec la maturité comme on pourrait le penser, mais ce sont bien des signes de difficultés.
On parle de l’hyper activité quand les enfants bougent dans tous les sens. Ils ne peuvent pas s’asseoir tranquille ; ils sont sur la chaise ou le banc, ils descendent, ils sont en dessous de la table. Malgré les menaces et avertissements de l’enseignant, ils courent partout. À un niveau très élevé, ça peut être sévère. L’hyper activité peut être souvent une difficulté d’apprentissage.
Comment faire le diagnostic de ces cas ?
Avant de parler de diagnostic, on va plutôt parler de repérer les signes car c’est un préalable au diagnostic. Il faut aider l’enfant à surmonter les difficultés qu’il peut rencontrer en classe (problème de lecture, de calcul, d’orthographe). C’est pour lui éviter d’être bloqué plus tard et manifester les mêmes besoins qu’un enfant sujets aux troubles d’apprentissages qui sont des troubles neurobiologiques. C’est depuis leur cerveau.
Ce n’est pas parce que le maître n’a pas bien fait son travail ou que l’élève n’a pas de livre de lecture. Non ! Chez eux, c’est naturel, ça vient comme ça. La zone du cerveau affiliée à la lecture, au calcul, à l’attention a un dysfonctionnement. Ça n’a rien à voir avec l’intelligence. Ce sont des enfants qui sont très intelligents. Cependant à cause de ces dysfonctionnements, ils n’arrivent pas à exécuter correctement les tâches.
Le diagnostic est posé par des experts. L’enfant est consulté d’abord par le psychopédagogue qui doit normalement se trouver à l’école. Mais nos écoles n’en ont pas. Il est ensuite conduit au service ORL pour voir s’il a mal aux yeux ou un problème au niveau de l’ouïe. Ces analyses permettent de faire des hypothèses avant de le faire consulter ensuite par l’orthophoniste. C’est plus facile de joindre ce spécialiste au Mali.
On doit consulter le neuro-pédiatre et psycho-pédiatre. Il y a certes des pédiatres au Mali, mais ils ne sont pas spécialisés dans la neurologie de l’enfant. Le psycho-pédiatre est aussi présent, mais n’est pas spécialisé en psychologie de l’enfant à cet âge là.
Il y a cependant une autre analyse à faire : c’est l’IRL (Imagerie par Résonance Magnétique). Cette analyse peut nous montrer vraiment la zone du cerveau sujette à un dysfonctionnement.
La prise en charge se fait comment alors?
Si le cas est repéré, l’enfant doit bénéficier d’un accompagnement au début. Mais quand ça devient sévère, des aménagements en classe s’avèrent indispensables. Tout comme les échanges avec les parents pour qu’ils s’impliquent aussi dans le travail, par exemple les révisions. Si l’enfant ne peut pas lire, quelqu’un d’autre va lire pour qu’il entende et retienne l’information. Il ne va pas faire les mêmes exercices que les autres. S’il fait le même nombre d’exercices que les autres, ça augmente ses erreurs. Si les autres font trois exercices, lui n’en fera deux ou un. Les autres vont lire ou écrire trois ou quatre phrases, ce sera une ou deux pour lui. On réduit son volume de travail pour réduire les risques d’erreurs.
Si pour écrire téléphone, il écrit ‘’téphone’’ lors de l’évaluation, le maître ajoutera le ‘’le’’ puis lui accordera le point, parce que ce n’est pas l’orthographe qui est évaluée, mais plutôt la connaissance.
Pour la prise en charge de ces élèves en difficulté, les parents paient cher les services de l’orthophoniste. Si la difficulté de l’enfant est vraiment lourde ou qu’on a déjà posé un autre diagnostic dans un autre pays, il faut un auxiliaire de vie scolaire individuel qui accompagnera l’élève jusqu’en classe. Donc, les parents payeront l’école, l’Auxiliaire de Vie Scolaire, l’orthophoniste sans compter la logistique : envoyer l’enfant chez l’orthophoniste, le ramener à l’école. C’est vraiment onéreux.
Pour corriger les difficultés d’apprentissage, je ne parle même pas de troubles d’abord, l’Etat doit revoir le système, le contenu des programmes, la formation des enseignants dans ce domaine.
Le nombre d’élèves par enseignant ne doit pas être élevé pour faire bénéficier à chaque élève l’accompagnement nécessaire à son passage en classe supérieure. Ça demande du travail.
Tout sortant des sciences de l’éducation est en mesure d’expliquer la cause des difficultés. Il y a des causes externes et internes. Les causes des difficultés de la plupart des élèves que nous avons aujourd’hui sont externes. Ce n’est pas dû à l’enfant lui-même. Le système n’est pas adapté ; les enseignants ne sont pas bien formés ; l’effectif est excessif dans les classes. Les parents ne s’investissent pas beaucoup, ne paient pas de manuels ou de matériels. Bref, on n’encourage pas l’enfant …
Votre mot de la fin
C’est à l’endroit de nos décideurs politiques ou en éducation. Il est temps qu’on se réveille, qu’on prenne l’avenir de ces enfants en main. On a toujours dit que l’avenir de ce pays repose sur les enfants. Mais si on ne donne pas les moyens aux enfants pour être autonomes ou matures, c’est comme si on érigeait un château de cartes derrière nous. Nos anciens étaient fiers du Mali. Leurs parents n’étaient pas allés à l’école, mais eux sont devenus des leaders en Afrique. Mais pourquoi, aujourd’hui, des directeurs d’entreprises, responsables de l’éducation nationale nantis de grands diplômes ont des enfants n’arrivant pas à lire ni écrire ? Donc, allons chercher la réponse à cette question. Nous avons du travail à faire. Tant que nous ne nous concentrons pas sur l’éducation en général, c’est comme si nous construisions des châteaux de cartes qui tardent pas à s’écrouler.
Propos recueillis par Moussa Diarra/Le Challenger